Cette année fut celle du saut dans le grand bain. Après deux décennies de contrats en tout genre, de l’hôpital à la maison de disques, de la chaîne de télé à la grande multinationale, j’ai décidé de me mettre à mon compte. Et j’ai découvert des tonnes de choses sur moi. Ce qui n’a pas manqué de m’étonner…
Je ne me suis jamais autant senti en sécurité que depuis que je n’ai plus de “filet”. La liberté, c’est choisir ses chaînes et j’ai enfin ENFIN renoncé à mon équation à deux balles “CDI - Tickets Restaurants - Congés Payés” pour sauter dans le grand bain de l’inconnu, me mettant à mon compte et ne pouvant compter que sur moi. Comme à chaque étape de ma vie pro depuis 1999, “on” est venu me chercher et “on” m’a proposé du boulot, si simplement et si naturellement que j’ai eu du mal à y croire. J’ai eu beau essayer de chercher par moi-même, rien n’est venu, mais les propositions ont afflué toute l’année, à ma grande surprise. Et sans arnaque, sans contrepartie douloureuse, sans patron naze.
J’ai opté pour l’enseignement et la formation, entre deux séances de thérapie de couple. J’enseigne les Softs Skills (le savoir être), la créativité et mille autres choses qui me passionnent. Je suis responsable à 100% de mon programme, de mes mots, de mes slides, de ce que j’apporte dans une salle de cours en y entrant. Et ça change beaucoup, beaucoup de choses… Oui, je travaille “plus” mais je travaille “pour moi” et je tire “moi-même” directement les fruits de mes recherches et de mes longues heures de préparation. Ça se passe bien voire très bien et je suis le seul bénéficiaire - avec les personnes que je forme, bien sûr - sidéré de capter le retour immédiat de mon investissement. Quel pied.
Enseigner un jour par semaine en anglais me pompe une énergie de malade. Je parle aisément dans cette langue mais je mets la barre très haut lorsqu’il s’agit de transmettre ce que j’ai en tête : un mot est un mot. Je veux pouvoir nuancer mon propos exactement comme je le souhaite et parler vite, bien, avec humour et empathie. Dans une langue étrangère. Bien évidemment et à ma grande surprise, je bute sur des mots du quotidien que je n’arrive JAMAIS à prononcer correctement comme purpose, stingy, schedule, miscellaneous et ça m’agace prodigieusement. Les élèves sont adorables (l’un m’a un jour repris naturellement et je l’ai remercié d’un simple hochement de tête) mais je finis mes journées sur les rotules. Un détail important : ils ont tous la tête très bien pleine et très connectée, d’excellentes notes, une forte propension à poser les bonnes questions. La Rolls pour un enseignant. C’est stimulant. Épuisant. Amusant. Génial. Je rentre chez moi la tête lourde et j’assume enfin que la fatigue intellectuelle existe aussi et que je dois l’accepter sans honte. Je me souviens sans la moindre nostalgie de mon dos et de mes pieds après des semaines aux 3x8 en usine et je ne me compare pas à un travailleur dont le corps est son outil principal… Mais j’assume (un peu) : oui, j’ai le droit d’être crevé, aussi.
J’ai fini par trouver mon rythme : j’enseigne à Nantes, à Rennes, à Toulouse, à Lille, à Lyon, à Reims, à Bordeaux et j’ai du progressivement lâcher ma voiture. Ce n’était pas sérieux et cela devenait même dangereux. 6 heures de route la veille, une nuit à l’hôtel, deux jours de formation et rentrer à 17h sur ces mêmes 6 heures de route pour arriver dans les bouchons à Paris, c’était une folie. Je prends donc le train puis des voitures de location entre particuliers sur place. Au passage, je savais que la SNCF était en souffrance mais rien ne m’avait préparé à la réalité du train en 2022 : quand on compte dessus pour aller travailler ET ARRIVER À L’HEURE, il vaut mieux avoir des nerfs en acier et lâcher prise. Quand ça roule, c’est génial. Le reste du temps, quelle galère et surtout que de complications pour changer son billet en dernière minute (sauf en payant très cher, of course), pour obtenir un peu de flexibilité ou pour souffler un peu après une journée de boulot. Les gares sont (dans le monde ?) toujours situées dans des quartiers plus ou moins sympathiques et je me suis retrouvé plus d’une fois à devoir attendre dans le froid, sur un fauteuil dans les courants d’air, mon ordi sur les genoux, que mon train arrive. Je n’ai pas accès aux salons Grands Voyageurs et ils n’existent pas partout, hélas.
Qui dit hôtel dit : literie plus ou moins de qualité, oreillers qui peuvent détruire une nuque en une nuit, mur laissant passer la toux du voisin, éventuelles punaises de lit, BFM allumée le son bien à fond au petit matin quand tu descends déjeuner, des chambres qui se ressemblent toutes, des salades achetées à Carrefour City (je n’ai pas le budget pour manger tous les soirs au restaurant), des matins où je peste car j’ai oublié mon déo ou ma crème hydratante ou mon dentifrice, des cartes magnétiques qui se démagnétisent une fois sur trois, des télés connectées (DE MERDE) qui vous proposent Youtube & co mais plus les chaînes classiques et qui ne reconnaissent pas ma Chromecast une fois sur deux. Oui, je ne suis plus aussi geek que dans le temps, je veux JUSTE pouvoir regarder Anne-Élizabeth Lemoine sur mon lit à 19h en machonnant ma salade sans âme, sans trop entendre les portes qui claquent dans le couloir. Parfois je craque et je me paye un super hôtel avec piscine, climatisation et peignoirs. Parfois je dors dans un Airbnb déco NewYork aussi démoralisant que possible avec ces immenses cadres photos achetés chez Ikéa représentant des taxis jaunes dans une rue de Manhattan en noir et blanc. Vous voyez le genre. Parfois je dors chez l’habitant mais je n’aime pas partager mes toilettes. Qui aime ?
Je découvre la France : partout les mêmes embouteillages dans les mêmes zones périphériques, matin et soir, partout les mêmes Décathlon/McDo/Leclerc/H&M, partout les mêmes parkings dans les centres villes de plus en plus difficiles à approcher et qui se vident pour ces fameuses zones périphériques où tout le monde s’entasse. Certains centres-villes sont devenus déserts, abandonnés, sordides, d’autres tiennent encore bon. Je visite un château, un musée, je me paye une toile, je questionne les gens que je forme sur leur vie loin de Paris. On déjeune tous les midis au restaurant et là, je suis plutôt verni, les tables sont bonnes et bien choisies, le repas est offert : je ne compte plus le nombre de bavettes / frites avalées pour fuir les salades de saison que décidément la plupart des restaurateurs ne savent ni assaisonner, ni rendre sympathiques. Partout, souvent, le même fondant au chocolat, les mêmes frites, la même patronne sympa qui a du mal à recruter son personnel et qui a réduit son offre de services. La France des régions, moi qui ne connaît que le Sud-Ouest et l’île-de-France. La France des fiefs et des petites particularités, des températures hallucinantes le lundi à Toulouse et glaciales le mercredi à Lille. La France qui a beaucoup changé et que je trouve moche en périphérie, avec tous ses ronds-points, ses Cultura, ses Basic Fit. Parfois l’impression de me réveiller dans un Houellebecq (qui tourne mal mais c’est une autre histoire) et de ne plus savoir qui je suis, d’où je viens et où je vais. Sentiments très bien résumés dans le génial et angoissant “La France sous nos yeux” de Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely. Je serai d’ici peu au Puy en Velay, à Metz, à Saint-Étienne. Ce n’est pas comme ça que je voyais ma vie à mon âge mais je l’aime bien, elle est chouette.
Les gens que je forme sont la plupart du temps formidables. Oui, c’est une auberge espagnole et oui je trouve ce que j’apporte mais j’ai eu beaucoup de chance de ne croiser que des personnes curieuses d’apprendre et prêtes à essayer le changement. Des visages, aussitôt vus sont oubliés mais des prénoms, des histoires, des confidences, des cafés pris à la pause marquent plus que d’autres et composent une année étrange, pleine, lançant plus de questions que de réponses mais qui m’a changé, moi aussi, pour le meilleur. J’ai été faire soigner ma cheville par un kiné à Chantepie, j’ai montré ma dent à Toulouse, j’ai dormi dans l’hôtel d’un ami à Angers, j’ai écouté Biolay, Armanet, Luciani en quittant Paris mille fois et j’ai fini par aimer ce que j’étais devenu comme si ne plus rien savoir m’apaisait mille fois plus que de tout vouloir contrôler (et ne rien contrôler du tout…)
La vie, c’est particulier, quand même.
Je vous embrasse, courage, le marathon absurde des fêtes touche à sa fin. Une pensée et plein de tendresse,
William
marrant...exactement le même ressenti...ne devoir des comptes qu'à l'urssaf et au fisc (aux clients aussi mais pas en permanence) est bcp plus sécurisant que de dépendre d'un chef ou d'une organisation souvent irrationnelle, on reprend possession de son propre temps (pas de réunionite). On vit de son travail (comme le chasseur cueilleur moyen)...et pour l'estime de soi, gagner un contrat, c'est top....bref c'est bien...Après c'est fatigant...être son propre moteur en permanence, c'est parfois dur...mais tellement moins pénible que de faire partie d'une structure unique...Surement parce que quand on est zèbre, on est slasheur à la naissance....travailler, enseigner, participer à pleins de projets, c'est vraiment ça la vie !
Quel destin...