Le réel a plus d’imagination que tout ce que j’ai dans la tête, je l’ai vécu mille fois, j’ai beau le savoir, c’est quand je me suis retrouvé alité, de l’autre côté de la barrière, aux mains des soignants, quasiment tous dédiés (et débordés) que j’ai enfin pu comprendre vraiment tout ce que j’avais raconté/dénoncé dans mes livres pendant des années. C’est bien simple, je me croyais dans un des chapitres de mes premiers livres où, jeune infirmier, je racontais mon quotidien à peine romancé, ulcéré par les violences discrètes, les petits renoncements et le manque de respect accordé à l’existence autrui, encore plus quand autrui est malade et dépendant.
Je vais vous écrire la suite comme si Ron l’Infirmier l’écrivait. Je ne sais plus comment il faisait mais ça devait ressembler à ça.
Le monsieur d’à côté.
Le monsieur d’à côté à 97 ans et il est tombé chez lui, se luxant l’épaule. Il ne peut plus se déplacer comme il le souhaite, manger comme il le souhaite, pisser comme il le souhaite. Il sonne régulièrement pour qu’on l’emmène aux toilettes et régulièrement l’aide-soignante lui répond :
- Vous avez une couche, faites dedans !
- Mais à la maison, je vais aux toilettes, je ne veux pas faire dans ma couche.
- Faites dans la couche !
Elle éteint la sonnette et s’en va. Pour être bien sûre que le monsieur ne parte pas de lui-même, elle prend le déambulateur qu’elle laisse dans le couloir, hors de portée. Il se retient de longues heures et, en fin de journée, quand sa dame de compagnie lui rend visite, elle l’accompagne enfin. Il marche sans le moindre souci et l’aller-retour lui prend moins d’une minute mais c’est une minute de trop pour l’équipe de jour.