Aujourd’hui, je fête mes 20 ans d’existence sur le web. En 2003, j’ouvrais mon premier blog, début avril, parce que je trouvais ça magique de pouvoir écrire des trucs en ligne qui risquaient d’être lus. Ce blog a changé ma vie. Quand je l’ai lancé, j’étais infirmier dans un bloc opératoire (spécialisé dans les yeux et les dents) et quelques mois plus tard, je devenais infirmier à domicile. Trois ans après, je sortais mon premier livre et sept ans plus tard, je quittais l’infirmerie pour devenir journaliste, enfin, je le croyais, mais Zazie était tapie dans l’ombre et j’ai finalement atterri chez Universal Music. Les voies du Seigneur sont impénétrables. Je n’aurais jamais, jamais, jamais imaginé que ce blog et cette prise de parole en public allaient autant changer ma vie. Douze livres plus tard, j’enseigne, j’accompagne, je forme, j’écris.
Le blog a connu plusieurs moutures, plusieurs fermetures, plusieurs nouveaux départs, plusieurs URL et puis un jour, je l’ai fait disparaître car l’époque n’est pas tendre pour les choses écrites deux décennies plus tôt, sans penser à mal ou sans penser tout court. Et puis j’ai changé, aussi : j’ai appris, j’ai vieilli. J’ai compris beaucoup de choses. Avant, je parlais pour qu’on m’aime. Aujourd’hui, je parle pour comprendre que je dois m’aimer avant tout. J’écris pour tenir debout.
Et puis j’avais envie d’autre chose avec cette newsletter. Parler aux gens qui ont vraiment envie de me lire. Parler à mon rythme, un peu caché par un paywall (qui me permet de payer les factures donc merci pour ça, votre abonnement est tout sauf symbolique, vraiment…), un peu plus distant mais à peine, toujours aussi fou du web mais d’une autre façon. Les newsletters, ça cartonne et ce n’est pas pour rien.
Je vous offre aujourd’hui un texte paru dans un de mes livres.
J’ai - pour ceux qui s’en souviennent - survécu à un accident de voiture au début des années 2000. La personne qui m’accompagnait en souffre encore. J’ai retrouvé ce texte ce matin qui incarne ce que j’avais envie de vous dire simplement en substance : demandez. Demandez. Si vous ne demandez jamais, vous n’obtiendrez rien. Demandez à voix haute, mettez un cierge ou priez, peu importe mais demandez. La réponse est toujours non tant qu’on n’a pas demandé.
Allez. Souvenirs :
L’ostéo que je viens voir pour mon dos (totalement bloqué) me dit que j’en ai juste… plein le dos. En effleurant mon cou, il réveille une vieille angoisse, celle d’avoir de nouveau mal dans la nuque et celle cachée derrière, de ne jamais pouvoir retrouver cette guérisseuse si d’aventure cette douleur revenait.
Mon accident de voiture avait été cataclysmique : je me souviens surtout du bruit et de mon réflexe. Quand le toit avait été enfoncé d’un coup, le rétroviseur plongeant vers mon visage, d’instinct, j’avais incliné la tête à gauche – plutôt jeté la tête à gauche – me cognant contre la vitre, tout en gardant mes mains sur le volant et ne freinant pas trop brutalement : le camion sur la voie en face était presque au milieu de la route, évitant à son tour un animal du troupeau et, derrière moi, un conducteur pilait si brusquement que je me raidissais, pensant être percuté à l’arrière, après avoir été écrasé sur le capot et le toit.
La vache, une patte arrachée, meuglait derrière nous : l’avant de ma voiture l’avait expulsée et elle avait rebondi dans l’herbe avant de tomber sur la clôture. Le type derrière avait réussi à s’arrêter à quelques centimètres de mon coffre. Le camion en face était à l’arrêt, de 3/4 sur la route, bloquant presque toute la petite nationale. Les autres vaches couraient sur la route, échappant au propriétaire qui était je ne sais où – partout sauf à l’endroit où il aurait dû être, à surveiller son troupeau soudain pris d’un accès de folie quelques minutes plus tôt.
J’avais pu éviter la première mais pas la seconde. Les autres, par miracle, nous avaient contournés.
Mon épaule droite était pesante. Le bruit qui me gênait le plus, ininterrompu, était celui du klaxon, suivi de près par un râle : ma collègue était incarcérée sur le fauteuil passager. Le plafond de l’habitacle était venu me caresser l’arcade sourcilière droite avant de se poser sur mon épaule (droite). Se poser, oui, comme une veste. Il me fallait me tasser d’un demi-centimètre pour pouvoir sortir. Mais, avant, je devais me débarrasser de cette douleur dans les mains que je ne comprenais pas.
Ayant entendu un homme crier derrière moi, je m’aperçus que mes jointures étaient violettes tant elles se crispaient autour du volant pour ne pas le lâcher. Le moteur tournait encore, nous étions à l’arrêt mais mon instinct de survie avait primé : ne pas dévier de l’axe, garder le contrôle du véhicule, rouler calmement jusqu’à l’immobilisation complète de l’engin et attendre les secours.
L’homme criait devant ma portière, il me parlait, je n’entendais rien. Je ne pensais qu’à trois choses :
– Enlever seul ma ceinture de sécurité.
– Ne pas oublier le portefeuille contenant 400 francs près de l’allume-cigare.
– Récupérer l’appareil photo jetable qui se trouvait à côté – nous avions immortalisé plus tôt, à 5 heures du matin, dans une station-service, notre départ matinal – pour sortir sur la route et prendre en photo les traces de pneu, de freinage, pour prouver que je n’étais pas en tort.
Je le jure, C’était ma seule obsession.
C’était la voiture du boulot, nous étions en mission d’intérim, et mon amie était incarcérée, râlant, peut-être mourante, mais moi, je ne pensais qu’à une seule chose : prendre des photos et prouver que je n’étais pas responsable. Si j’avais pu éviter le troupeau, je n’avais pu faire autrement que de renverser la bête.
Alors, après que l’homme eut tiré sur la portière pour me faire sortir, je pris des photos.
Consciencieusement. Calmement. C’était le chaos tout autour de moi, les automobilistes – rares, à cette heure – nous dépassaient en nous regardant, en détaillant le carnage, le sang, les hurlements de l’animal, la voiture clignotant sur le bas-côté, l’agriculteur qui hurlait contre la perte de sa bête, le routier qui voulait le frapper et les gendarmes qui aidaient les pompiers à se garer pour commencer à désincarcérer – enfin – mon amie.
J’avais une simple égratignure – en apparence – une abrasion de la peau sur le front. Un centimètre de plus et j’aurais été mort, traumatisme crânien, adieu.
Je n’eus – vraiment – mal au cou que quelques jours plus tard. Cervicalgie bien tassée, bien complexe. La douleur ne me quitta plus pendant des mois. On me parlait de me faire indemniser par l’assurance, que je toucherais du fric, un bon paquet même. À la vérité, je m’en moquais pas mal, je ne voulais qu’une seule chose : ne plus souffrir. Le fric était secondaire. Les insomnies liées à ma douleur me bouffaient la vie.
Quinze mois plus tard.