Quand j’étais infirmier de nuit en oncologie, le temps d’un remplacement de trois semaines à Noël, j’avais dû accompagner quelques patients de l’autre côté. Les dernières heures de chacun face à la mort sont toutes différentes et je n’en tirais aucune leçon particulière. Mourir est désagréable mais mourir de nuit, dans les bras d’un infirmier inconnu, alors que tous vos proches passent les fêtes ensemble doit être d’un glauque absolu.
Bien souvent, “ils” me demandaient de ne pas prévenir leurs proches.
- Vous êtes sûr ? Vous ne voulez pas avoir quelqu’un à côté de vous ?
- Restez-là. Je ne veux pas les déranger. C’est déjà assez pénible comme ça, toute cette situation.
- Vous voulez parler de quoi ?
- Je n’ai pas envie de parler, allumez la télé et asseyez-vous à côté de moi.
Parfois, “ils” passaient la nuit, leur heure n’était pas encore arrivée. Parfois pas.
Une dame m’avait fait prier avec elle, main dans la main et j’avais continué à égrener les Je vous salue Marie quelques minutes après son décès, alors qu’elle avait cessé de respirer à quelques centimètres de moi.
Un monsieur m’avait demandé de lui parler de ma famille : il n’en avait aucune, étant veuf et sans enfant. Fils unique. Ni oncle, ni tante, rien. Quelques amis, des retraités comme lui, habitants sur la côte d’Azur à des centaines de kilomètres. Avec l’aide-soignante qui m’avait rejoint, nous avions fini par jouer toute une heure au rami, autour de son lit. Une sonnette nous avait arrachés à la partie et quand nous étions revenus, quelques minutes plus tard, il semblait endormi, les cartes en main.
Une femme, plus jeune que moi - et je n’étais pas bien vieux à l’époque - rongée par un cancer des os, me suppliait d’augmenter la dose et je ne pouvais rien faire. Elle était déjà au maximum et ne supportait pas bien la morphine. Elle m’insultait, me reprochait mon manque d’humanité, elle avait craché à la figure d’une collègue et, en désespoir de cause, j’avais activé le Plan Placebo…