“Je ne peux détacher l’entorse de sa tentative de suicide, les deux images sont liées…”
J’ai écrit cette phrase il y a presque vingt ans. Elle figure dans un de mes premiers livres. Je n’ai pas souvent parlé de tout ça car je pleurais dès que je commençais à raconter cette histoire. Je ne pleure plus. Mais, cette semaine, dans le RER, un garçon avec un lourd handicap intellectuel se faisait chahuter par deux très jeunes cons de son collège. J’ai vu rouge. Et tout s’est mélangé, tout est remonté.
Je me suis levé, j’ai haussé la voix, je crois qu’ils ont eu peur de ce qu’ils voyaient dans mes yeux. Ils ont pris leurs jambes à leur coup en m’insultant. Le gamin handicapé était paniqué, totalement perdu puis il a compris que je lui voulais du bien et il a commencé à se calmer alors que j’enchaînais les phrases rassurantes, sur le même ton, en regardant de temps en temps par le fenêtre comme si de rien n’était, de station en station. Il s’appelait Stephan, il descendait deux stations après moi mais je suis resté jusqu’au bout car sa mère l’attendait sur le quai de la gare et nous avons parlé. Longuement. Elle a compris en me voyant sortir avec lui, je n’ai même pas eu besoin de lui expliquer, elle avait deviné que j’étais intervenu. Je ne devais pas être le premier. Ça m’a tordu le ventre. Quand j’ai senti qu’il était temps, que nous nous étions tout dit, je suis reparti dans l’autre sens.
Le passé me sautait au visage, de nouveau. J’ai eu envie de boire, d’un coup, moi qui ne boit pas. Ou plus. Ce gamin terrorisé. J’étais ivre de vengeance. La colère était toujours là. Elle n’avait pas bougé un centimètre, en fait.
2003 - La première séance :