On n'est pas là pour faire BIEN, monsieur
C’est ce que m’a dit le toubib, l’autre jour.
C’est d’ailleurs à peu près la seule chose intéressante qu’il m’ait sorti pendant une heure. J’en suis sorti la tête sous l’eau, épuisé, triste, complètement à la ramasse émotionnelle, après son long monologue d’une heure.
Sa phrase exacte était pas bête du tout : “Dans la vie, on n’est pas là pour faire bien, monsieur, on est là pour faire mieux. Les gens qui veulent faire bien sont des perfectionnistes qui finissent par relâcher la pression après avoir tiré, tiré, tiré. Les gens qui veulent faire mieux font un pas à la fois… Et dans la vie, il n’y a que ça qui marche…”
Pas con.
Sauf que le type parlait, parlait, parlait : j’étais noyé sous les mots, les conseils, les injonctions et à un moment donné, j’ai dit stop. Je lui ai expliqué simplement :
- Je suis pas un auditif, je suis un visuel, je comprends rien à tout ce que vous me dites et puis y’à que vous qui parlez, là, c’est pas possible, on est deux, là.
- Mais j’ai beaucoup de choses à vous dire…
- Je ne peux pas faire MIEUX si vous êtes tout seul à parler.
- BON OK TRÈS BIEN VOUS VOULEZ PARLER DE QUOI ?
- Ben euh c’est un peu trop direct, comme approche.
- Faudrait savoir.
J’en suis sorti dévasté, maudissant mon hypersensibilité, ma franchise, mon besoin de parler et d’écouter dans le cadre d’une vraie discussion, n’osant pas lui dire que je ne voulais plus le revoir et culpabilisant par-dessus le marché d’être comme je suis. Mais le type n’écoute rien. Je ne vais pas chez un soignant pour subir un monologue. J’y vais pour échanger et avancer. Je lui donne encore une dernière chance.
Je ne me suis jamais autant senti en sécurité depuis que je suis sorti du système censé m’apporter la sécurité, le salariat. Je revis. J’avais placé dans le CDI, les collègues et l’entreprise toute la base de mon bien-être (tu parles d’une connerie !) et depuis que je n’ai plus tout ça, ça va beaucoup mieux, merci. Je n’arrête pas de le répéter depuis quelques mois, je le redis encore, si j’avais su à quel point j’allais m’épanouir dans cette vie, je serais parti à mon compte vingt ans plus tôt. Mais comme c’est très bien fait, une maturité humaine, professionnelle, si je n’avais pas traversé ces deux dernières décennies à la recherche de l’Arche Perdue, je ne serais pas l’homme que je suis, avec l’expérience que j’offre en formation. On ne peut pas être et avoir été. Je ne jurerais de rien (et suis même prêt à me renier trois fois avant le chant du coq) mais on ne m’y reprendra pas avant longtemps d’aller signer un contrat pour un patron. Foi de génisse !
La dernière fois que j’ai lancé un truc pareil, je crois que je me suis parjuré dans les trois mois qui ont suivi. “Ah, il est pas né, le mec qui me fera quitter mon Sud-Ouest natal de nouveau, après cette maudite parenthèse Alsacienne…” et banco, trois mois plus tard, love, déménagement, Paris, argh.
Et sinon, l’Alsace, quand on n’y est pas né, c’est un peu trop froid l’hiver et un peu trop chaud l’été, un peu trop loin de la mer et carrément très loin du Sud-Ouest. Je garde vingt ans plus tard dans mon coeur - sans bien savoir pourquoi - la vue du Grand Ballon qui me manque, de temps en temps, sentiment totalement incompréhensible pour un mec comme moi qui ne vit que pour l’Atlantique. Ah et puis tous ces noms de village finissant par SHEIN qui se prononcent shine comme Pfulgriesheim, Breuschwickersheim, Niederschaeffolsheim, Mittelschaeffolsheim, Souffelweyersheim, Krautergersheim ou Hagenthal-le-Haut.
Le Grand Ballon. J’y reviendrai bien une fois avant de mourir. Aucune idée du pourquoi. Le coeur a ses raisons que les distances parfois ignorent.
Le génie de Gainsbourg, tout de même. Je ne vis pas dans une grotte depuis 30 ans, je vous rassure, je connais Gainsbourg même s’il n’était pas au top de sa forme musicale au moment de sa mort. Je devais être en terminale et je découvrais ses titres des années 60 que je trouvais dingues, ce qui est toujours le cas aujourd’hui. Quand je pense à la rythmique de Requiem pour un con, je me demande toujours comment ils ont pu produire un truc aussi moderne en studio.
Tout ça pour dire que je me suis penché lentement mais sûrement sur la production de Jane Birkin il y a six mois et que j’ai fini par plonger en m’offrant l’intégrale (dédicacée) la semaine dernière. Mais quel génie, ce mec. Quel génie. L’intégrale est disponible ici mais je vous préviens, dédicacée, mon oeil, on dirait qu’elle a écrit Jeanine, j’étais un peu déçu ^^
Je guettais l’arrivée par la fenêtre du mec qui n’est jamais venu, comme ils font dorénavant, en laissant un avis de passage comme quoi vous n’êtes pas chez vous alors que SI vous y êtes mais ils ont 654 colis à livrer en une journée et c’est plus rapide de remplir le bordereau mentionnant votre absence. Comment je sais tout ça ? Mon ami d’enfance Christophe a fait un remplacement de six mois à la Poste et m’a raconté les coulisses de la distribution. Vous n’avez pas envie de savoir. Plus personne n’en a rien à faire de rien. Même les pilotes d’Air France se battent dans les avions en plein vol…
Le livre de Guy Birenbaum “Toutes les histoires sont vraies” m’a fait penser aux Années, d’Annie Ernaux, Sainte Annie Ernaux, devrais-je dire, tant on commence à la béatifier (enfin !!) de son vivant et il était grandement temps. J’ai lu les Années quand elle n’était pas à la mode et c’est une de ces oeuvres qu’on offre aux gens qu’on aime les yeux fermés.
Exactement comme le livre de Guy, mon premier éditeur, certes, mais je déteste le copinage et je n’en parlerais pas ici si je n’avais pas été ému. Guy s’est tapé une dépression nucléaire il y a quelques années qu’il a raconté par le menu dans son livre précédent et il n’a plus jamais été le même homme depuis. Guy, c’est un Clint Eastwood comme on n’en fait plus : fidèle, fiable, masculin et pas spécialement bavard. Je l’appelle le Cow-Boy depuis 2006. J’ai de nouveau eu les larmes aux yeux en découvrant l’histoire de sa famille, de ses proches, de ses amis, de ses amantes, de ses emmerdes. Et puis cette photo de couverture, on dirait du Hockney, on dirait du Jean Claracq. Elle pose le style, la qualité, la rareté.
Je vous laisse, j’ai la saison 2 de l’Opéra sur le feu et je peux vous dire que c’est le genre de série qu’on avale en un week-end même si on devrait la laisser fondre en bouche sur plusieurs semaines. La patience n’a jamais été mon truc.
Je vous embrasse fort.
William