J’entame depuis hier un petit périple dans les Ardennes. La venue de ma mère à Paris à fait remontrer beaucoup de souvenirs dont un que j’avais (presque) totalement occulté. La lecture de Society vous apprendra tout ce que vous avez besoin de savoir sur l’étrange disparition de Tiphaine Véron et j’aimerais apporter ma maigre pierre à l’édifice. Nos deux histoires ne sont absolument pas liées mais le ressenti dans mon estomac en découvrant l’enquête ne trompait pas : j’ai moi aussi des choses à dire sur cette ville. Ce n’est pas tant raconter ma propre terreur qui m’intéresse aujourd’hui mais tout le blocage émotionnel lié à ces nuits d’angoisse et comment j’ai pu le faire sauter à l’époque, bien malgré moi.
Je vous remets le contexte. 2012. Je viens de quitter Universal Music avec un petit chèque de départ. Je consulte une sexologue une fois par semaine qui me dit répète constamment que “je dois coucher pour effacer le trauma”, qu’il faut “réparer le mal par le mal” et que je dois me réapproprier mon corps, ma jouissance et mes besoins sexuels. La meuf est folle, ultra-cash, elle prend 100 euros pour 15 minutes et me met dehors systématiquement, chaque mercredi, après avoir posé sa question de début de séance :
- Alors, vous avez couché avec un inconnu ?
- Non.
- Vous attendez quoi ?
- J’y arrive pas. Je peux pas me décider. Ça me fait trop peur.
- Ok, on arrête là. Ça fait cent euros. On se revoit mercredi prochain à la même heure. Quand vous en aurez marre de payer, peut-être que vous vous déciderez à coucher ?
Bien évidemment, avec le recul et les années qui ont passé, je trouve cet échange totalement lunaire et violent. On ne soigne pas les gens comme ça. On ne parle pas aux gens comme ça. Mais, moi, dans mon histoire, quand on me traite mal, c’est qu’on m’aime. Donc elle m’aime. Et elle doit avoir raison : si je veux “débloquer mes blocages” (je ne sais pas à l’époque que je souffre de stress post-traumatique et de toute évidence cette idiote aurait dû s’en douter), je dois affronter mes peurs.
“Derrière chaque peur se cache un apprentissage, dans la limite de votre intégrité physique ou émotionnelle”
J’ai bien fini par retenir son Mantra et je me demande quand je vais enfin pouvoir commencer à “apprendre” de nouveau. Mais je suis bloqué. Les garçons m’attirent, j’ai des désirs. C’est juste que ces app de rencontre me semblent terriblement vulgaires, crues, elles ne provoquent aucun désir en moi et les conversations sont d’une telle banalité, d’une telle grossièreté parfois, que je finis par bloquer les personnes et éteindre mon téléphone. J’ai besoin d’un contact humain, d’un sourire, d’un regard pour me “remettre en route” et pas de toutes ces photos de corps, de paires de fesses, toutes ces transactions sans âme qui ne racontent rien sauf des passions bien tristes, bien charnelles et bien éphémères.
L’ami d’une amie me sauve. Comprenne qui pourra mais cette amie raconte justement son histoire en plusieurs chapitres sur son compte Insta, depuis quelques semaines et vous connaissez peut-être déjà le prénom et le visage du garçon en question, N., qui m’a permis de pouvoir toucher et être touché à nouveau.
Je suis passé, grâce à lui et à ses bras, de nuits hantées par mon cauchemar récurrent (hurlements, réveil en sueur, pleurs) à un sommeil plus calme et à une curiosité renouvelée pour les inconnus d’un soir. Il m’a guéri et permis de franchir le cap. J’ose de nouveau.
La sexologue est ravie et elle ne me lâche plus. À ma grande stupeur, la séance dure plus d’une heure, cette fois-ci, créant un embouteillage conséquent en salle d’attente dont elle n’a cure. Elle est affable, enfin et propose des pistes pour aller plus loin :
- Pourquoi ne partiriez-vous pas seul, loin ?
- Pour y faire quoi ?
- Pour vous y trouver, retrouver votre masculinité, votre désir, observer le désir que vous pouvez susciter et admettre votre part de violence, afin de la dompter pour ne plus jamais subir celle des autres. Plus jamais. Quand vous pensez à “loin”, vous pensez à un pays ?
- J’en connais peu mais j’ai eu horreur de me perdre au Japon, je n’y comprenais rien, à Tokyo, avec tous ses panneaux, ce bruit, ces voitures. Seul au Japon, ça me semble impossible. Ce pays est une montagne qui me semble infranchissable tout seul et pourtant j’adorerais y revenir.
- Vous avez de l’argent de côté ?
- Oui, j’ai des sous, je viens de toucher mon chèque de départ. Je pourrais acheter un billet d’avion quand je veux, je n’ai pas de contraintes. Enfin si, je dois être en Azerbaïdjan dans six semaines, je pars avec Virginie pour l’Eurovision à Baku.
- Et si vous partiez samedi matin... Dans deux jours… Pourquoi pas ?
- Mais… Euh… Et j’emporte quoi ? Je suis jamais parti du jour au lendemain, moi.
- Je vous conseille de prendre un petit bagage cabine, deux tee-shirts, 3 sous-vêtements, un pantalon de rechange et deux paires de chaussettes. Avec votre ordinateur et un bon livre. Vous trouverez tout le reste sur place. Six semaines, ça nous emmène à fin juin, revoyons-nous le 17, ok ?
- Oh, c’est le jour de mon anniversaire, je fêterai mes 39 ans.
- Parfait. Bonne route. Et osez !
La dame me semble déjà un peu timbrée à l’époque et je sais maintenant que c’est un genre de thérapie (?) qui ne me correspond plus mais, sur le moment, ça ne me semble pas fou.
Je rentre chez moi, j’achète un billet aller pour Tokyo, je remplis une minuscule valise cabine, j’achète un adaptateur et je passe à la FNAC récupérer quelques livres de Virginie Despentes (Apocalypse Baby, Bye-bye Blondie). Je n’ai aucun souvenir de CDG ni du vol pour Tokyo. J’y passe deux nuits, je rencontre un Japonais génial qui va devenir un pote, Kohei. Nikko est ma prochaine étape.
Nikko. Au pied des montagnes. Arrivée en train.
Je m’y sens immédiatement mal à l’aise. Immédiatement. Autant Tokyo m’a semblé prometteur, fou, plein de possibilités, autant Nikko sent le danger, le trouble, les emmerdements graves. Je chasse cette pensée ridicule en m’accrochant à mon mantra :
“Derrière chaque peur se cache un apprentissage, dans la limite de votre intégrité physique ou émotionnelle”
Je prends cette photo de Nikko en arrivant à la tombée de la nuit :
Je ne sais pas encore que je vais dormir dans un hôtel sordide quelques heures plus tard, après un concours de circonstances assez dingue ni que je vais y croiser un type qui va me terroriser. J’avais pourtant planifié de séjourner dans un bel endroit.
Lorsque je sors de la gare, ma réservation en main, tirant ma petite valise derrière moi, j’ai une boule dans l’estomac qui pourtant ne devrait pas y être. Le trajet de train pour quitter Tokyo m’a semblé bien long malgré la courte distance (150 km) et le ciel sombre, gris n’aide pas. Une bien mauvaise nouvelle m’attend, à mon arrivée sur place.
Il commence à neiger, il fait froid, le printemps n’a pas vraiment démarré ici, dans cette ville d’altitude et une feuille A4 est punaisée sur la porte fermée de l’hôtel. Un long texte est écrit, en japonais, suivi d’une photo en N&B d’un homme. Je ne comprends rien. Je tape à la porte, je sonne, personne ne descend.
Je suis dehors, tout seul, le soleil se couche derrière la montagne et mon hôtel semble abandonné.
(à suivre)
J'attends la suite avec impatience :) palpitant !
Alors déjà la photo me fait penser direct à TwinPeaks...