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À cette époque, je vis en hyper-vigilance permanente. On ne m’a pas encore détecté de PTSD et je crois que mon angoisse, mes bouffées de stress sont les conséquences d’une vie à Paris, quand on vient tout droit du Sud-Ouest. Si je suis mal, c’est que je n’aime pas le béton. L’homme que je suis à Nikko en 2012 vit dans la crainte permanente de mal faire, de mal dire, de mal acheter, de mal manger et dépend à 90% du regard et de la validation des autres. Je traverse ma vie en n’y comprenant pas grand chose et je m’accroche souvent avec ceux que je croise car je ne sais pas composer avec eux - ou bien trop, avant d’exploser. Je sais que je vaux quelque chose pour eux (ils me recrutent, ils m’embauchent, ils me désirent ou ils veulent être amis) mais je pense que je ne vaux rien. Et on me trouve prétentieux quand on me lit, ce qui est assez comique quand on y réfléchit deux secondes.
L’affichette sur la porte de l’hôtel est écrite en japonais et comporte une photo en noir & blanc. Je la regarde, interdit, plusieurs fois, avant de me décider à la prendre en photo et de faire demi-tour vers la Poste non loin. Je pousse la porte et m’avance vers la femme au guichet. Elle semble très embêtée (j’apprendrai ensuite que peu de Japonais parlent anglais) par mes questions et secoue plusieurs fois la tête en refusant de répondre, mutique. Elle finit par comprendre que je lui montre une photo et que j’ai besoin d’un traducteur. Rouge de confusion, elle file dans le coin de la pièce, trouve un épais dictionnaire anglo-japonais et m’explique péniblement, mot après mot, que le propriétaire de l’hôtel où j’ai réservé est décédé. Et que l’hôtel n’accueille plus personne. Fermé.
Évidemment, alors que j’écris ces lignes, en 2023, je saurais quoi faire. Ce n’est pas si dramatique comme situation. Mais dix ans plus tôt, sans internet, sans parler la langue, sans smartphone connecté, sans 3 ans d’EMDR avec ma chère psy et surtout incapable à l’époque de ne plus pouvoir sortir des sous-terrains obscurs dans lesquels j’ai choisi d’entrer, je reste tétanisé sans savoir quoi faire. Je n’appelle pas au secours, j’en suis incapable, je sens juste monter les larmes et je comprends que je vais pleurer dans la poste devant la dame. Il n’y a pas mort d’homme mais pour moi, à l’époque, il y a mort d’homme. Je ne sais plus quoi faire. Je bégaye. Mes pieds sont coulés dans le ciment. Ma tête est vide et pleine à la fois.
La dame prend pitié et appelle au téléphone. La nuit est tombée. Une autre femme arrive quelques longues minutes après et me demande de la suivre. Nous allons à l’hôtel qui est toujours fermé mais dont elle ouvre la porte d’entrée. Elle allume les lumières de l’accueil, s’installe derrière le comptoir et démarre le vieux pc qui se met à ronfler avant d’accéder à Internet. Je ne sais pas qui elle est, je ne sais pas pourquoi elle a la clef, je sais juste qu’elle est en train d’accéder à mon dossier et de valider ma présence. Je ne vais pas dormir à la rue (ce qui est impossible, avec le recul, dans cette ville ultra-touristique, farcie d’hôtels pour la plupart vides mais, hey, je suis branché sur Radio LEPIREDUPIRE, la station 100% verre à moitié vide qui ne vous donne que des mauvaises nouvelles et imagine les plus mauvaises options) et - je ne le sais pas encore - la peur de me retrouver à la rue est une de mes bases traumatiques les plus fortes. On a travaillé dessus pendant des années, avec la psy.
Elle finit par me tendre une clef et par m’expliquer dans un anglais hésitant que je vais être le seul client de l’hôtel pour les 3 nuits à venir, qu’il n’y aura pas de petit-déjeuner et que je dois appeler le gardien de nuit en cas de problème mais il fera des rondes, de toute façon. Une petite lumière rouge s’allume dans la tête alors que je chasse vite les mots entendus :
SEUL DANS L’HÔTEL
EN CAS DE PROBLÈME