Addictions: 7 choses que j'ai apprises dans le secret des groupes de parole anonymes
Alcoolisme, boulimie, accro aux narcotiques, au jeu ou au sexe, dépendant affectif ? Il existe un groupe secret pour chaque addiction.
Je suis terrorisé, sur le parking de la bibliothèque, prostré derrière mon volant. Je regarde les gens pousser la porte du bâtiment en brique rouge des années 60. Le drapeau américain claque dans le froid, c’est la fin octobre et l’hiver est déjà là, dans cette petite ville de banlieue à 30 kilomètres de Boston. Il est bientôt 18h et la réunion-des-camés va bientôt commencer à l’intérieur mais j’ai peur. J’ai peur comme à ma première réunion, trois ans plus tôt. J’ai peur d’être jugé, j’ai peur d’être ridicule, j’ai peur de ne pas être compris si je m’exprime en anglais. Mais je n’ai pas le choix. Je suis à sept heures d’avion de la maison et, ce soir, si je ne parle à personne, je vais rechuter. Je ne sais pas dans quel état je finirai la nuit. Ni même si je serai assez lucide ou tout simplement en vie au troisième chant du coq.
J’ai envie de pleurer. De rage, de honte, de mépris, aussi, envers moi-même et ma maladie. Je ne connais aucun jour de répit. Même ici, durant mes vacances, alors que je croyais être loin de mes démons, je suis au bord de la rechute. Hébergé chez des amis, poussé à tous les excès, on honore ma venue et moi, je ne sais comment leur expliquer que je vais tomber très bas si j’accepte tout ce qu’on me propose.
Toi qui me lis pour la première fois, peu importe mon ou mes addictions. Tu dois juste savoir que je suis malade et malheureux. Chaque jour est, au choix, une porte de sortie vers une sobriété ou un toboggan vers quelques minutes de plaisir coupable et une longue descente vers le crash, la misère et la honte. Je suis libre de choisir ma route. J’y pense à chaque instant de la journée. Je ne connais pas de seconde de répit. Dès que je me réveille, j’ai envie de consommer. C’est plus fort que moi, c’est inscrit dans mes os, ça dégueule de mon ADN, c’est comme un réflexe de mort ou de survie morbide ou les deux. J’aimerais être un autre, j’aimerais ne pas connaître cet état, j’aimerais apprécier le restant de ma vie, j’aimerais pouvoir compter sur ma volonté mais je suis un addict et je ne me fais pas confiance une seule seconde.
“Vous n’êtes pas responsable de votre maladie, vous êtes responsables de votre guérison” comme ils disent.
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Trois ans plus tôt.
J’arrive bien trop tôt pour ma première réunion. Je tourne autour du local, je me donne une contenance et je fuis à quelques mètres, derrière une camionnette blanche, quand je vois une personne arriver sur le même trottoir.
“Elle en est ?”, me dis-je en moi-même, comme si notre addiction commune pouvait se voir sur le visage.
Qu’importe, j’ai trop honte, je repars vers le métro. Je ne veux pas être là. Je ne veux pas voir ces gens. Je n’ai pas besoin de ce miroir. D’ailleurs je passe ma vie à les éviter, les miroirs, ce n’est pas pour en trouver une quinzaine en face de moi ce soir. Et puis, merde à la fin, que vais-je donc apprendre que je ne sais déjà ? Que c’est dur de résister à la tentation ? Que je n’ai aucune volonté ? Que j’ai déjà tenté cent fois, en pensant que celle-ci était la bonne, de m’abstenir et que j’ai rechuté cent et une fois, dans une culpabilité telle que ma rechute était pire encore que la fois précédente.
Que vont-ils donc me dire, tous ces gens-là ? Que leur enfance était pire que la mienne ou aussi dure ? Que la vie vaut la peine d’être vécue car “on ne sait jamais de quoi demain sera fait ? ”. Justement. Je préfère mon addiction, car je sais immédiatement en consommant ce “qu’aujourd’hui est fait”. Un immense apaisement. Je n’ai pas besoin d’un espoir pour demain, j’ai besoin d’une compensation dans-la-minute.
Je n’ai pas besoin qu’on me dise qu’arrêter me ferait du bien, j’ai besoin de consommer tout de suite pour me donner le courage d’arrêter, justement.
Je sais ce qui est bon pour moi et ça ne m’intéresse pas car c’est trop difficile à obtenir.
Je sais ce qui me fait du mal dans l’immédiat et ça me rassure car je n’ai qu’à tendre la main pour en avoir un peu et un peu plus et un peu plus encore.
Peu m’importe demain ou même ce soir, ou même après. Je veux mon truc et je le veux maintenant. Et puis, surtout, j’en veux plus encore. I want more.
Cette première réunion, mais, alors que je fais tout pour l’éviter, quelque chose d’obscur tapi dans ma souffrance, comme un génie oublié ou un enfant résilient plus accroché à la vie qu’un adulte défaillant, me pousse à y aller.
Je suis encore plus honteux que d’habitude car je sais ce que les autres vont voir alors que, presque violemment, j’appuie sur la porte et je rentre précipitamment dans la pièce.
Ils vont voir un malade. Un junkie, un camé, un addict, un accro, un alcoolo, un boulimique, un taré du jeu et des machines à sous ou des boites à cul. Barrez le ou les mentions inutiles, choisissez votre image mentale de tox ici, ici ou ici, c’est de moi dont parlent ces histoires. Je le redis : le ou les produits que je consomme n’ont aucune espèce d’importance. Mon addiction est mon fardeau. Les addicts partagent tous la même destinée et le même espoir. S’ils ne changent pas, ils vont mourir de leur maladie ou de ces conséquences. Mais ils espèrent tous pouvoir contrôler leur addiction et trouver l’équilibre dans une consommation raisonnée. Mieux que l’équilibre : le bonheur.
Le produit mais pile la juste dose, la consommation exacte répondant au besoin et pas un gramme de plus, pas un verre de plus, juste ce qu’il faut pour être bien.
Je me leurre, évidemment. Je suis la dernière personne au monde à me contenter de ce qu’il faut quand je suis face à mon produit. Je ne sais que le consommer à m’en rendre malade, je ne vis que pour l’absorber car c’est la base sine qua none de mon bonheur.
La juste consommation, la juste dose qu’il me faudrait, en vrai ?
Zéro, pendant toute une journée, du matin au réveil.
Un millimètre de + que zéro et je rechute.
Un centimètre de + que zéro et j’en veux douze.
Et quand j’aurai douze, je me dirai que c’est pile la moitié de ce que 24 me donnerait comme plaisir. Et, comme je suis vieux, je sais que 48 me donnera deux fois plus de plaisir que 24 mais tout de même bien moins que 96, car 48 ne me fait plus beaucoup d’effet, depuis le temps que je me fais 120 dans la gueule.
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La première épreuve de la réunion, c’est de décoller ses yeux de ses chaussures et d’oser regarder les visages autour de moi. Ces gens ont mis les chaises en cercle, tout le monde est en face de tout le monde. Des hommes, des femmes, des vieux, des jeunes. On me regarde. On me sourit. On me dit bonjour, même. Je réponds.
J’entends le son de ma propre voix, étranglée par la gêne et la souffrance d’être là alors que je pourrais être chez moi à consommer tout seul.
Tout seul. Consommer. Tout seul.
Juste après avoir salué le groupe, je me fais la promesse que je vais bien me rattraper en sortant, tiens, pour oublier tout ça, toute cette honte, toute cette épreuve. Voilà, soudain, j’ai retrouvé de quoi me donner du courage et quoi les supporter tous. Je vais attendre la fin, vite rentrer ensuite et me mettre bien (mal) comme ça je pourrais me coucher en ayant envie de vomir, ce qui est le signe d’une soirée idéale qui se termine comme j’aime : une soirée à compulser, à s’en mettre plein la tête, à ressasser qu’on est une merde exceptionnelle et incomprise, la plus grande merde exceptionnelle et incomprise de l’univers.
Personne n’est passé par là avant, personne ne peut comprendre ce que je traverse, ce sont tous des cons et ils me font pitié, TELLEMENT PITIÉ, et d’ailleurs, ça se saurait que ça fait du bien de parler à des pochetrons, des camés, des toxicos. Au collège, quand on veut réussir, on demande à intégrer la classe des meilleurs, pas celle des ratés. Vous mettez dix ratés dans une pièce, ils ne vont pas inventer la fusée à hydrogène qui ira sur la Lune, hein.
Ça se saurait.
(Suite vendredi prochain, 14h)
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Problématiques Couple 💑 / Amour ❤️ / Sexo 🍆
“Allo, allo monsieur le médiateur”
Je suis médiateur de couples et je reçois depuis le second confinement des dizaines de SOS sur Instagram touchant aux questions intimes (amour, relations, sexo) que je ne peux pas toutes traiter. Vous aider à être bien dans votre relation amoureuse, c’est quelque chose que j’adore faire, dans un cadre garantissant l’anonymat, la liberté de ton et la bienveillance. C’est un vrai travail de fond, pour vous et pour moi. On pleure, on rit, on hallucine. J’ai vu des couples qui se séparaient se réconcilier et, à l’inverse, des couples qui faisaient le point et se quittaient bons amis, etc.
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Je teste.
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