Je suis obsédé par la perfection, je suis en recherche permanente de la perfection et - bien évidemment - je me vautre à chaque fois puisque la perfection n’est pas de ce monde et que je ne serai, par essence, ni physiquement, ni moralement, ni intellectuellement parfait.
Je suis un humain. Je suis bourré de défauts et de qualités. Je suis né ainsi et je mourrai ainsi. Je dois m’accepter tel que je suis mais comme je n’y arrive pas, je me rue sur des béquilles (alcool, chimie, bouffe, sport, dépense, sexe, réseaux sociaux, barrez la mention inutile) pour oublier que je vais mourir et que ça m’angoisse tellement, pour oublier que je suis rempli de regrets de ne pas avoir fait tout ce que je voulais faire, limité par mes peurs (fondées ou pas) et, sans cesse, je remets toujours dans les mains d’un autre mon propre bonheur. Un autre pays, une autre ville, un autre qui m’aimera, un autre poids que le mien, un autre chiffre sur mon compte en banque, une autre journée que celle que je suis en train de vivre.
Je refuse de regarder la réalité en face : je n’ai qu’aujourd’hui, là, maintenant, tout de suite. Je n’ai que mon corps qui me lâche chaque jour un peu plus. Je n’ai que ce que j’ai bien voulu créer autour de moi (amis, enfants, potes, relations, oeuvres) et je ne sais rien de rien, de rien. Alors, je repousse mon changement à demain. Et demain, je ne comprendrai pas pourquoi ce sera aussi merdique que la veille.
Hollande avait raison : le changement, c’est maintenant. Mais il aurait pu rajouter : le changement, c’est maintenant, le changement, c’est tout le temps. Le changement, c’est moi qui l’accompagne ou moi qui force la main du destin mais le changement, c’est chaque seconde de ma vie et chaque inspiration que je prends. Que je le veuille ou non, je change à chaque instant.
Mais moi, je ne veux pas changer, moi je veux être parfait.
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Cet été, à Florence, il y avait, dans mon hôtel, un couple de personnes âgées. Nous nous retrouvions tous les soirs à l’Aperitivo particulièrement généreux, puisque nous buvions et mangions au frais de la princesse pendant une heure. Terrasse, grillons, petits coussins.
Ils avaient tous les deux dépassés les 80 ans bien tapés et semblaient encore en pleine forme. Elle rayonnait, il était plus discret. Elle avait été éditrice pendant plus de soixante ans, il avait fait régner la loi et l’ordre en uniforme. C’était leur dernière fois, ici, après 55 années consécutives à venir chaque été, deux semaines en juillet. Elle souffrait d’un lymphome bien avancé, il en parlait avec émotion et dignité. Elle parlait de tout sauf de ça.
Nous échangions tous les soirs. Ils connurent tout de ma vie. Ils adoraient poser des questions faussement innocentes. Je les faisais rire et je cabotinais un peu trop, bien sûr. Ils me donnaient les meilleurs coins de la ville, ils me racontaient les petits secrets cachés derrière les murs, ils me poussaient à visiter telle chapelle qui n’était pas dans les guides et ils m’exhortèrent à quitter Florence pour la journée, direction Sienne, afin que je prenne l’air ailleurs.
Je le fis.
Il pleuvait à Sienne, une pluie glacée, agressive, démoralisante. Je tentais de faire contre mauvaise fortune, bon coeur, mais plus les heures passaient et plus ma colère augmentait : j’attendais de découvrir la ville depuis un James Bond vu des années plus tôt (Quantum Of Solace), tout le monde m’en avait vanté le charme et l’originalité folle des petites rues étroites et j’avais même le nom de trois restaurants typiques au choix pour m’en mettre plein la bouche le midi.
En glissant sur les pavés, la première fois, je me fis mal au dos. La seconde fois, je m’ouvris un peu le genou.
Agacé, je finis par me poser dans le premier restaurant qui venait et - bien sûr - ce fut un infâme piège à touristes. Aucun intérêt et presqu’aucun goût.
J’avais de plus en plus froid, assis sous mon parasol qui me protégeait des gouttes.
Je décide alors de rentrer et trouve une heure plus tard un soleil magnifique à Florence. Excédé par ce que je considère être une injustice atroce, je m’enferme dans ma chambre pour travailler sur mon livre et n’en ressort que pour l’Aperitivo, bien décidé à me détendre avec trois Martinis et un bon assortiment de cochonneries salées.
Je m’installe à “notre” table, je raconte ma déception. Il ne fait aucun commentaire, elle me sourit, pendant que je raconte.
- C’était nul, je suis dégouté.
- Je crois que vous mettez la barre trop haut, William.
- Non, il pleuvait, c’était pas du tout l’image que j’en avais. Que je voulais m’en faire. Une journée de perdue.
- Je sais que je ne reviendrai pas l’an prochain et que je ne vais plus jamais voir Sienne. Je pense que vous devriez réévaluer ce qui est prioritaire pour vous et ce qui accessoire. Je pense que vous mettez la barre trop haut pour tout et que vous vous faîtes du mal ensuite parce que vous n’arrivez pas à atteindre le chiffre imaginaire que vous vous êtes fixé tout seul.
- Peut-être.
- Vous dirigez une usine à regrets… Pardonnez-moi d’être aussi franche. Mais vous devriez passer la main à quelqu’un de plus compétent et changer de métier, si vous voyez ce que je veux dire. Redevenez ouvrier ! Plus aucune responsabilité, plus aucune pression… (elle rit)
- Vous pensez que ça me rendra heureux ?
- Je crois que ce n’est pas le but…
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Le lendemain, je partis tôt pour San Gimignano (comme ils me l’avaient conseillé) et la journée fut géniale. Du soleil, une table très bien située à l’ombre, deux appels d’amis qui voulaient savoir comment j’allais et - j’avais pris mon ordi - un chapitre qui s’écrivit tout seul ou presque en regardant passer les touristes.
En rentrant, le soir, je fus tout seul à l’Aperitivo. On m’expliqua à l’accueil qu’ils étaient partis à Pise, parce que la dame s’était sentie un peu plus fatiguée le matin. Ils avaient plié les gaules après le repas de midi.
Elle m’avait laissé cinq mots, sur une carte postale de l’hôtel, avec son mail :
Horas non numero nisi serenas
(Ne compte que les heures heureuses)
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Je regrette de n’être pas resté à Sienne, sous la pluie.
J’aurais dû m’acheter un pull, un grand parapluie et attendre que les gouttes cessent de tomber. Ou j’aurais du marcher sous la pluie. Après tout, je ne suis pas en sucre.
J’espère que vos vacances se sont bien passées.
Les miennes furent réparatrices.
Amitiés,
William
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Amitiés,
William
Cette dame ♥️
Quelle belle histoire, merci de l’avoir partagée ❤️