J’en suis venu à haïr Paris.
C’était une lassitude, c’est désormais devenu un dégoût, profond et amer, qui vient teinter chacun de mes pas, quelque soit l’arrondissement ou le lieu, quelque soit le partenaire à mes côtés ou la couleur du ciel (gris, la plupart du temps) : je ne peux plus blairer la capitale, c’est physique, c’est épidermique, c’est en moi et je ne peux plus le cacher.
Je suis “monté à Paris” en 2002, amoureux d’un garçon et bien décidé à réussir cette histoire qui s’arrêta en 2015, pile entre les attentats de Charlie et ceux du Bataclan. Rupture, larmes, déclassement. Mon déménagement dans un petit appartement sordide, donnant sur un immeuble gris et bruyant, dont le plancher craquait, dans une rue sans âme tamponnée de crottes, me mis par terre. J’y tins une année avant de déménager dans un appartement encore plus petit mais tout en haut d’un immeuble, dernier étage donnant sur la capitale, perché sur une colline du XXème. Je voyais, depuis ma seule chaise en bois, Meudon et la Défense, à des kilomètres de là. Le petit lit s’encastrait dans le mur quand on appuyait sur une télécommande sans âge et je ne pouvais pas écarter les bras dans la cuisine tant elle était minuscule. C’était un meublé, le canapé avait connu le départ de De Gaulle et la voisine d’à-côté hurlait sur les étudiants de l’étage en dessous qui faisaient la fête un soir sur deux.
J’habitais dans un 24m2. À 43 ans. Je lisais dans les yeux de mes amants de passage une certaine pitié quand je faisais descendre le lit, lentement, le moteur poussif menaçant de se gripper à tout instant, je tentais de plaisanter pour faire passer le temps mais je voyais bien que j’étais devenu soudainement moins attirant que lors de notre échange un peu plus tôt, dans le bar d’en bas. “Je suis locataire”, que je répétais à chaque fois, comme si ce statut temporaire excusait l'aspect miteux du lieu. Je ne les revoyais jamais.
Ma carte bancaire se bloqua une fois puis une seconde chez le fromager : je ne gagnais plus assez pour me payer du vieux Comté à la coupe et ce fut terriblement humiliant. Paris devenait si cher quand on y vivait seul. Je ne partageais plus l’eau, plus l’électricité, plus le Wifi, plus les courses et mon petit salaire ne me permettait plus aucun extra. La rage au ventre, je me jurai, comme Scarlett, que jamais je ne tomberai plus bas et que je trouverai le moyen de rebondir mais déjà je méprisais la capitale, ses autolib’ dégueulasses, ses métros bondés et puants et les gens qui se marchaient tous les uns sur les autres en jouant des coudes pour bouffer un lunch tiédasse à 29 euros.
Je voulais dégager mais je n’avais pas de plan B.
Chaque voyage à l’étranger m’apportait autant d’oxygène que de hargne contre ma ville d’adoption : Vienne à vélo, Londres en marchant, Berlin de jour comme de nuit, Rome en amoureux, toutes les autres villes me semblaient plus attrayantes que la mienne, mieux foutues, leurs foules réparties de manière plus homogènes et leurs centres plus adaptés aux touristes (laissez-moi rêver, laissez-moi étaler ma mauvaise foi), ah, les touristes, autre plaie fatale de Paris, ces touristes grouillants de partout, faisant la queue en tout lieu (adieu le Musée d’Orsay sur un coup de tête), parlant fort dans le métro en mini-short et tongs, attirant les pickpockets à des kilomètres (les Américaines, hallucinantes) et tirant les prix vers le haut. Voilà bien des gens que je ne regrette pas.
Qui n’a jamais pris l’Eurostar à Paris, Gare du Nord, pisseuse cour des miracles, pour arriver à Saint Pancras ne peut comprendre ce grand 8 émotionnel, culturel. Deux heures plus loin, et même si tout y est atrocement cher, atrocement injuste pour qui ne parle pas la langue et subtilement compliqué pour qui croit entendre en un “We may do that” un “Yes” formel, que les choses sont plus simples, plus directes et comme tout semble couler de source.
Revenir à Paris me semblait de plus en plus douloureux et quitter la ville, même pour une après-midi, même à cent bornes, était systématiquement la garantie de quelques % gagnés dans mon oxygénothérapie. L’été dernier, on m’offrit une voiture : ce fut le début de ma libération et de mon ébahissement. Je me croyais malheureux à Paris mais c’est bien toute l’Île-de-France que j’avais en horreur, comprenant que je détestais toute ville jusqu’où le RER arrivait, emmenant dans son pestilentiel sillage depuis les Halles tout ce que j’exécrais le plus au centre de Paris : la promiscuité, le bruit, la saleté, l’incivilité et le risque désormais permanent de se prendre un mauvais coup après un regard de trop.
Cet été, pour la première fois, je décidai qu’il fallait passer à autre chose et déménager dans les 18 prochains mois. Pour simplifier le choix et acter d’une destination par défaut (car je me verrais bien vivre à Bayonne, pour être franc, mais aller donc trouver un emploi dans le coin cadrant avec mon parcours, mon âge et mes prétentions salariales) je déposai par écrit trois critères :
- Façade Atlantique
- Deux heures de Paris max par le train ou la route
- Ville atypique.
Le croyez-vous, il n’y eut qu’un seul nom qui émergea.
Et ce fut…
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Amitiés,
William
Bordeaux ?