25 questions pour trouver sa Raison d'Être : (Carrière, vie privée...) : épisode 1
Pourquoi je suis là ? A quoi je sers ? Comment trouver mon utilité ?
Quand on me demande comment je vais, je réponds toujours par provocation :
- Oh, moi, tu sais, à mon âge, j’attends la mort…
Ça me faisait beaucoup rire de dire ça à 20 ans tellement je trouvais inconcevable l’idée de mourir.
À 47 ans, ça me fait beaucoup moins rire car la probabilité est bien plus élevée et - surtout - j’ai presqu’intégré que j’allais probablement mourir pour de vrai un jour. Je n’en suis pas encore totalement convaincu cependant. Et vous ?
C’est dans les yeux des recruteurs que j’ai capté à quel point j’approchais du cimetière. Le désir de mes amants étant toujours intact, mes parents âgés toujours en vie, ne souffrant ni des articulations, ni d’ailleurs et pouvant lire sans lunettes ou écouter la télé sans monter le son, je n’avais pas de retour franc de l’Univers sur mon âge canonique et mon imminente DLC.
Grave erreur. Car oui, mon retrait subi du marché de l’emploi (et donc ma mort imminente, car nous vivons dans une société où le travail vous définit, vous ouvre toutes les portes et vous apporte joie, apaisement et salaire), je l’ai vu dans le regard de ceux qui m’embauchaient, il y a deux ans à peine.
Avant, tout allait bien.
J’ai la chance d’avoir commencé une deuxième carrière professionnelle sur le tard. J’étais infirmier jusqu’à mes 34 ans. J’ai bifurqué complètement. Me voici depuis maintenant treize ans dans “le tertiaire”. Depuis mon départ de l’hôpital, j’ai bossé dans l’enseignement supérieur, à la création d’un média participatif, pour une chanteuse à succès, pour la plus grande maison de disque au monde, pour une chaîne de télé, pour un grand groupe agro-alimentaire et désormais dans un Institut de Prospective. Pour ceux que ça intéresse, j’ai décrit mon parcours dans ce livre, avec ce que j’ai appris et ce que j’ai mis en place pour survivre dans tous ces milieux différents. Ce fut dur, souvent, passionnant, toujours, formateur, tellement.
Il y a deux étés, j’ai donc été approché par un énième chasseur de tête. Il me voyait à la tête de la rédaction d’un gros site culturel web. J’avais le profil parfait selon lui, qui place des gens bien coiffés toute l’année avec des salaires à 6 chiffres. Il en voit passer, du candidat.
Rendez-vous dans le sud de la capitale. La recruteuse (qui serait ma N+1) me met sur le grill pendant plus d’une heure. Mon parcours la dérange un peu mais elle ne me livre pas vraiment le fond de sa pensée, je sens que quelque chose la chiffonne mais je n’arrive pas à mettre le doigt dessus.
Elle finit par me dire que je suis trop vieux pour le site, que je n’aurai pas les bonnes références culturelles. Pas dans ces termes, bien sûr. En me raccompagnant à l’ascenseur, elle finit par me lâcher que dans le fond je suis trop vieux tout court, ils veulent un profil plus junior mais avec mon expérience.
C’est la première fois de ma vie qu’on me dit que je suis trop vieux pour un job, je le prends à la légère. Quelle idiote, elle ne sait pas ce qu’elle perd, je fanfaronne, je repousse l’idée noire qui tente de s’incruster dans mon arrière-plan mental : TOO OLD FOR THIS GAME, DUDE. On va voir ce qu’on va voir, je vais ouvrir une app’ de rencontre ce soir et je te ferai le bilan lundi, ma grande. Oui, je raisonne comme ça. Chacun son KPI interne de flamme vitale.
Deux semaines plus tard, une VP d’un grand groupe m’approche. Elle a entendu parler de moi, elle monte un programme de reverse mentoring (des jeunes qui forment des vieux), elle réunit plein de hauts cadres de son grand groupe à la montagne pour “les former au web” (lolilol) et aimerait que je leade le groupe “Snapchat / TikTok for brands”. Easy peasy.
Nous passons 70 minutes au téléphone, elle adore tout ce que je propose, les ateliers interactifs, les exercices, les slides animées, les GIF, elle me trouve formidable, elle est enchantée qu’on lui ait donné mon nom. Elle me googlise, trouve mon site, mes livres et s’exclame : Ah ! Mais vous avez une page Wikipedia, William ? La classe !
Et puis, là, silence. Je sens un malaise s’installer.
- Tout va bien ?
- Mais…Vous avez 45 ans, William ?
- Oui, j’ai 45 ans mais je sais que je ne les fais pas (sourire)
Visiblement, si.
Elle me dégage alors en moins de vingt minutes, me proposant sans vergogne de former en mode intensif sa jeune stagiaire SciencePo (pas vraiment intéressée). Une formation qu’elle me payera rubis sur l’ongle, afin que sa jeunette forme des vieux “de mon âge” pendant l’évènement. Dans la logique du reverse mentoring, quoi. L’honneur est sauf.
Certes.
Mais on nage aussi en pleine connerie humaine : quelle perte de temps et de savoir. Et puis merde, c’est de mon honneur aussi, dont on parle là. Je suis trop ridé pour monter sur scène mais pas pour souffler le texte depuis les coulisses ? Elle s’étonne longuement, lourdement, stupidement qu’à mon âge je sois toujours aussi compétent sur ces “trucs de jeunes” et s’excuse enfin : “Je ne peux décemment pas vous demander de former des gens de votre âge, vous n’allez pas être crédible sur ce sujet…Ou moi…”
Je ressors de là un peu désespéré du genre humain. Je refuse la mission, bien évidemment.
Le chasseur de tête me recontacte deux mois après : le “jeune” qu’ils avaient embauché à ma place pour la rédaction en chef du site culturel ne fait pas l’affaire, il a finalement un profil bien trop junior et se fait manger tout cru par les vieux journalistes, les vieux développeurs, les vieux (de 37 ans, hein) interlocuteurs qu’il trouve en face de lui et qui lui mènent la vie dure.
La recruteuse veut me revoir.
Nous repassons deux heures ensemble. Je me la ferme même si je meurs d’envie de lui dire que je n’ai pas rajeuni depuis le dernier échange ^^
Nous reprenons point par point la même conversation que nous avons eu deux mois auparavant. Elle me pose les mêmes questions, je lui sors les mêmes références culturelles. Je ne suis pas totalement débile non plus donc j’ai ajouté dans le lot quelques noms d’artistes plus “branchés” qu’elle aimera entendre et que j’écoute déjà tout seul sans qu’on me demande mon avis.
Au détour d’une phrase, elle lâche le nouveau noeud du problème : j’ai deux ans de plus qu’elle et c’est une situation inédite. Sous-entendu : comment elle va faire pour manager un “vieux” ?
Ah.
Je ne dis rien, bien sûr. Dans ma tête, c’est moi qui la trouve plus âgée qu’une pyramide d’Égypte mais qui suis-je, dans le fond ? Un petit infirmier monté de son Pays Basque à Paris, qui par chance, par hasard, éventuellement par sa compétence à su se frayer un chemin dans des univers fous et passionnants à la fois. Un has-been à les écouter.
Elle ne me reprend pas pour le poste, embauche une jeunette qui tient six mois et puis un autre jeune encore, qui tient un an. L’offre d’emploi m’est repassée sous le nez sur LinkedIn le mois dernier. Visiblement, l’absence de rides et la chair ferme ne garantissent pas la pérennité du poste.
Je me prends donc dans la gueule trois fois en quelques mois que je suis devenu vieux. Soudainement ma traditionnelle blague sur le fait que j’attends la mort me semble moins beaucoup, beaucoup moins drôle. C’est un fait, alors ? Désormais, je n’aurais plus de perspectives ?
J’en parle à ma coach pro, Florence, qui a fait de moi la machine de guerre que je suis devenu et elle me sourit :
- Mais enfin, vous n’allez pas écouter ces bêtises ? C’est une idiote, cette recruteuse. En plus, il est sans intérêt pour qui vous êtes profondément, ce job. Vous avez déjà fait ça en mieux et internationalement. Ce n’est pas vous, ce job. C’est un cadeau qu’on vous fait en ne vous prenant pas. Vous êtes tellement plus intéressant que ce job, maintenant. Vous n’avez jamais été autant à votre place que depuis deux ans. Vous déchirez partout où vous passez. Acceptez-le.
- Oui mais…Je suis sur la fin, là…
- Non, c’est bien plus excitant, vous entamez votre deuxième partie de vie.
- Et il y a des gens qui en voudraient encore, de ça ?
- Oui, si vous déterminez enfin votre raison d’être (votre Ikigaï) et que vous vous y accrochez, quelque soit le salaire ou les paillettes qu’on vous promet en face. C’est ça, aussi, votre problème, William. C’est que vous refusez d’admettre ce pour quoi vous êtes venu sur Terre. Votre place. Ce pour quoi vous êtes le meilleur. Vos talents. Jusqu’à maintenant, j’ai travaillé avec vous pour vous adapter aux situations complexes et vous faire délivrer un maximum sur les demandes de vos employeurs. Vous vous rendez compte que vous travaillez pour leur faire plaisir ? Mais où vous situez-vous, là dedans, vous ? Où êtes-vous ?
- J’ai des mensualités à rembourser.
- Vous pourriez les rembourser deux fois plus vite si vous assumiez votre raison d’être. Et le plaisir qui en découlera.
- On est obligés de revenir à ça à chaque fois qu’on se parle ?
- Je ne vous lâcherai pas tant que vous ne l’aurez pas trouvée !
J’avais appris un jour, dans un documentaire de Martin Scorsese consacré à George Harisson que le but de la vie, d’après l’ancien Beatles, était de surmonter ses peurs, assumer ses désirs et de délivrer le potentiel maximum de son être au monde, de faire entendre sa voix unique, pour pouvoir mourir sans regrets, sereinement.
George ne rêvait que de musique Indienne, de méditation, d’un foyer paisable, d’anonymat et de tranquillité.
Il était “né” Beatles et il mourut Beatles d’un cancer généralisé, à 58 ans, dans une grande paix intérieure, après avoir accepté qui il avait été et ce qu’il avait représenté pour le monde, enfin.
En ce cas, je veux bien attendre la mort mais dans la sérénité et l’apprentissage. Hier soir, super mal après une journée de confiné, j’ai cru qu’en m’achetant un Thermomix (en dix fois sans frais), j’allais lutter contre mon angoisse vespérale.
Après une nuit à se retourner dans tous les sens , j’ai annulé la vente ce matin. La sérénité ne passait ni par Cofidis, ni par la technologie Allemande, ni par la garantie d’avoir 42000 recettes à portée de wifi. Hélas. Ce serait trop simple.
Je vous propose de partager ici, dans les semaines et les mois à venir, le chemin vers ma / votre/ la raison d’être. J’ai écrite et encadrée la mienne au-dessus de mon bureau.
Je vais vous faire rencontrer des humains passionnés qui savent la faire éclore, la déterminer, la guider. Je parlerai donc de nos Raisons d’Être(s), les vôtres, la mienne.
Je vous racontera cette route, cette voie vers un équilibre, mieux, une évidence Vitale.
Ce chemin, comment je le comprends, comment je le vis, comment je refuse toujours de l’emprunter encore parfois, malgré l’évidence, comment il s’impose lentement à vous à la seconde où vous vous acceptez tel que vous êtes, dans la nudité de votre être, dans l’absolue solitude de votre condition et dans la certitude encore plus absolue que vous mourez, comme moi, bientôt, un jour, probablement seul en ayant, je vous le souhaite, compris ce que vous foutiez ici, utilisé votre temps restant pour créer un maximum d’impact et admis que cette acceptation de votre raison d’être est capitale pour votre apaisement, votre équilibre et le bonheur de ceux qui vous entourent.
Rien que ça...
Bien à vous,
William
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Problématiques Couple 💑 / Amour ❤️ / Sexo 🍆
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