Je ne sais pas ce qui m’arrive depuis quelques temps, probablement depuis que les jours raccourcissent et que les feuilles deviennent marron sur les arbres, probablement aussi parce que je sens une humidité très particulière le matin qui annonce la fin des fruits de l’été et le besoin de mettre une petite laine quand je prends mon petit déjeuner dans le jardin, mais je suis à la recherche de quelque chose qui me manque et qui n’existe pas où, qui, si d’aventure je me lançais dans sa quête me procurerait plus de tristesse que de joie.
Je suis envahi par la nostalgie d’une époque révolue qui ne me rendait pas heureux et qui pourtant me manque. Les années 80. Mon adolescence et le début de l’âge adulte. Est-ce là ma crise de la quarantaine qui débute enfin, bien tardivement ? Est-ce que je sens que je touche réellement à ce que je nomme, dans cette newsletter, “la deuxième partie de vie” ?
Je me souviens d’une formation Gestalt. Rolande était une des personnes les plus généreuses rencontrées dans le groupe, toujours à soutenir par un sourire ou une parole douce une personne qui allait moins bien (la formation était fort remuante pour l’âme). Nous devions nous ouvrir sur une prise de conscience récente et Rolande avait fondu en larmes :
- Je viens de comprendre que la finitude n’est plus un concept. J’ai 74 ans. Je vais mourir un jour. La finitude, je sais désormais que c’est ce qui vient.
Je n’avais pas réagi sur le moment, réfléchissant à ma propre réponse pour le groupe et regardant Rolande comme un objet curieux, la trouvant touchante et un peu à côté de la plaque. Penser à la finitude me semblait un brin ridicule. Rien ne se finit vraiment, tout est un éternel recommencement. Je le pensais sincèrement, il y a quatre ans à peine. Une éternité.
Je crois que ce que je recherche et que je ne trouve pas, que ce que je ressens en moi ces jours-ci est une forme de saudade nostalgique, lentement dérivée du sentiment de finitude qui s’installe enfin en moi. J’ai compris, comme Rolande, que je ne pourrai recommencer éternellement les mêmes erreurs (même si je cherche souvent la sortie du labyrinthe), que je ne visiterai jamais certains lieux et que le nombre de livres que je vais écrire ne sera pas infini.
Il me faut choisir et compter avec attention. Les jours comptent triple.
Peut-être suis-je nostalgique d’un temps où ces notions n’existaient pas et qu’il me tardait de vivre plus vieux pour commencer enfin à ressentir des émotions. Peut-être est-ce la raison pour laquelle les mélodies de ces années-là me troublent autant, comme les Heures Hindoues de Daho.
Je pensais que cette chanson résumerait à jamais mon adolescence, je ne savais pas qu’elle illustrerait tant mon entrée dans ma dernière partie de vie. J’ai mal choisi le titre de ma newsletter ;)
J’ai vécu le pire stress de vacances possible, hier, quand la boite de vitesse de la voiture de location s’est cassée, à Lecce dans les Pouilles. Je n’arrive JAMAIS à composer un numéro de l’étranger depuis mon smartphone, ces histoires de +0033 avec ou pas le zéro qui suit m’ont toujours rendu nerveux.
Bien évidemment, il n’y a plus personne qui répond au téléphone quand vous êtes en panne, en plein soleil, sur le parking d’une station service. Et les messages enregistrés parlent Italien. Il vous faut remplir en ligne un formulaire depuis votre smartphone. Subitement les vacances prennent un parfum différent, celui de la merde dans laquelle vous êtes si vous ne faites pas preuve d’originalité et de détachement, deux qualités qui me sont étrangères en cas d’ennui mécanique.
Mon amoureux me fit remarquer que je gérais mal mon stress et je lui répondis que ça dépendait des situations. Infirmier, je n’avais pas vraiment de problème avec ça. Je me souvenais de nuits aux urgences avec plusieurs patients en situation critique : l’adrénaline me portait et je ne ressentais nulle angoisse particulière. Pour des raisons que j’ignore ou que je feins d’ignorer, les problèmes mécaniques me tétanisent. Un pneu crevé, le mois dernier, alors que ma mère était en vacances à Paris et me voilà incapable de prendre une décision logique. Une boite de vitesse abîmée, en pays étranger et j’étais aussi utile qu’un chat Persan face à une boite de thon non ouverte mais tant désirée.
Je savais au fond de moi que cet incident réveillait la pire angoisse : qu’on me vole du temps de bonheur sur une semaine de soleil avec mon amoureux, qu’on me prive de précieuses heures passées à se demander quoi faire de beau, souvent rien, d’ailleurs, mais rien tous les deux ce qui compte pour cent valses à mille temps, pour à la place gérer des problèmes et des emmerdements comme chaque jour de l’année à Paris.
Attendre et plus particulièrement attendre l’aide d’autrui me révolte. Attendre une addition, le bon vouloir d’un guichetier, mon tour pour me faire opérer au bloc, l’arrivée d’une dépanneuse.
Je ne veux être que dans le mouvement, dans l’action, dans la vie. Attendre c’est m’attacher. Qu’on me sangle émotionnellement et voilà que je me débats, que je hurle, que je trépigne et que je deviens déraisonnable.
La finitude était au coeur de mon désespoir, hier matin, nous venions à peine d’arriver et j’étais rattrapé par l’horloge, l’incertitude de l’aide qui allait venir ou pas (et quand ?) et la perte irrémédiable de la matinée prévue en bord de mer avec lui.
J’étais plus triste qu’en colère, en vrai. Le temps perdu ne se rattrape jamais.
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Amitiés,
William
“By contrast, surely few readers of this newsletter need me to clarify that it isn’t written by someone who’s Sorted His Life Out Completely and is now magnanimously offering to guide others toward a similarly flawless existence. If anything, it’s the opposite. “You teach best what you most need to learn,” as the author Richard Bach famously put it. You’re drawn to the subjects you struggle with because you struggle with them – because the stakes feel high to you, so you’re motivated to try to puzzle out some solutions.”