Ce qui est important ce n'est pas d'être heureux, c'est d'être utile : rencontre avec Guillemette Faure
Conseils pour trouver sa Raison d'Être 🌀 : portrait d'un humain qui a trouvé son Ikigaï, son équilibre, son bonheur
Je me suis laissé porter. J’ai écouté le conseil que Christie me donnait de bon coeur : “Tu devrais interviewer Guillemette Faure”. Alors je l’ai fait. Dans le cadre de ma série d'interviews sur la raison d'être, j'ai eu la chance de passer une bonne heure avec Guillemette, une journaliste - auteur - sage que je ne connaissais pas. Et vous savez quoi ? Elle m’a appris trois choses puissantes dont une qui a changé le cours de ma vie pro en un instant. Parfois, lire des tonnes de bouquins de dev perso ne sert à rien. Il “suffit” d’entendre la bonne phrase dans la bouche d’une inconnue. Laissez-vous porter, n’attendez rien de la lecture qui vient. Peut-être que la magie va opérer pour vous aussi…
- On ne se connaît pas du tout. Il paraît que tu es sage, que tu es très singulière, et Christine me dit qu'elle te voit de temps en temps pour grandir en sagesse. C’est l'effet que tu fais habituellement à tout le monde ou uniquement à Christie ?
Je suis étonnée qu'elle me voit comme quelqu’un de sage (rires) mais grandir à plusieurs, c'est quelque chose auquel je crois beaucoup. Nous avons eu, il y a quelques années, une conversation clé avec Christie, quand elle travaillait sur sa Raison d'Être 🌀. Elle était toute à sa recherche, ce qui est le cas de beaucoup d'auteurs de livres de développement personnel. Personnellement, je n'y crois pas du tout, à la quête du bonheur. Ce qui est important, selon moi, ce n'est pas d'être heureux, c'est d'être utile. Les gens qui ne vont pas très bien, ce sont souvent des gens qui n'ont pas eu l'occasion de se sentir utile.
C'est pour ça que je suis toujours un peu frustrée, quand je parcours cette littérature spécialisée (comme “les 3 kiffs par jour”) de ne jamais y retrouver cette notion d'utilité. J'ai beaucoup travaillé, dans le cadre de mon métier de journaliste, sur les sujets d'éducation notamment. Cette injonction (le bonheur, la quête du bonheur) pousse des générations entières d’ados et de jeunes vers le mal-être car on leur laisse entendre qu'on aurait chacun en soi une vocation, que nous aurions tous un petit truc à part qui ne demanderait qu'à se réaliser pour être heureux. Du coup, tous ceux qui n'ont pas trouvé ce fameux truc en question à l'intérieur d’eux-même sont en permanence en train de se demander quelle reconversion ils doivent entamer. Ils finissent par devenir coach et par s'occuper des reconversion des autres (rires)…
Je crois que si au lieu de dire “Réalisez-vous, accomplissez-vous” (ce qui colle une pression très forte), on disait plutôt qu’il faut commencer par gagner sa vie, ce serait un bon début. Suivre sa vocation, vouloir vivre de sa passion, c'est totalement tourné sur soi, en pensant que le point de départ est forcément à l'intérieur. Alors que lorsque l'on est dans une logique d'utilité, quand on se demande “Mais dans quoi je suis bon ? Qu'est-ce que je fais qui peut être utile pour autrui ? Qu'est-ce que je sais faire dont d’autres pourraient avoir besoin ?” Là, selon moi, on aura beaucoup plus de chance d'y trouver son compte. Maîtriser quelque chose même d’anodin, avoir rendu service, être apprécié parce qu’on a fait quelque chose dont quelqu’un avait besoin, ça donne des raisons de se lever le matin, on l’a oublié. Je me souviens d’une pub dans le métro de New York qui appelait à des reconversion vers l’enseignement et qui disait “parce que vos tableaux Excel ne viendront pas vous dire merci dans quelques années”. C’est exactement ça.
Plus prosaïquement, si au lieu de suivre sa vocation, on suivait son expertise, les quelques compétences qu'on maîtrise (même si j’aime pas le mot compétences, ça fait un peu trop LinkedIn), ça peut être des actes du quotidien comme s'occuper de quelqu’un, jouer de la musique, construire des maisons... L'avantage à suivre ce pourquoi on est bon au lieu de s'interroger sur notre fleur interne qui ne demanderait qu'à s’éclore, c'est cette gratification à maîtriser des choses et ce sentiment d’utilité qui en découlent. J’essaie d’écrire des articles qui mettent de bonne humeur, c’est dire si je ne mets pas la barre de l’utilité très haut.
- Ah toi, tu n'es pas comme Julien Clerc qui veux être utile juste à vivre et à rêver ! Toi, être utile, ça veut dire utile pour les autres, c'est ça ?
(rires) Figure-toi que je n'avais jamais bien écouté les mots après utile ! Bien évidemment qu'il y a des gens qui peuvent trouver leur compte dans la contemplation. Mais je trouve que l'utilité est un ressort important de l'épanouissement personnel. Le malaise des bullshit jobs vient de là.
J'avais un père qui travaillait dans les ressources humaines. Il m'a dit très tôt que les gens qui faisaient des burnout, ce n'était pas uniquement parce qu'il travaillaient trop tard mais bien souvent parce qu'ils ne connaissaient plus le sens de leur utilité au travail. Ça m'a énormément éclairé. Le burnout arrive à partir du moment où on se sent comme un écureuil dans sa roue, sans aucune visibilité sur sa direction. Ce n'est pas le nombre de tours de roues qui fatigue. C'est le fait que la roue n’aille nulle part.
(…)
J'ai grandi dans un milieu post-68 où il était tabou de projeter ses envies professionnelles sur ses propres enfants. J'ai donc été totalement libre de choisir ce que je voulais faire. Et j'ai donc décidé, au grand désespoir de ma mère, d’opter pour une école de commerce. Une erreur dont je me suis rendue compte un peu plus tard.
J'avais eu une scolarité très chaotique. Je me suis mise au travail en terminale, j’ai entamé une prépa HEC uniquement pour pouvoir me barrer de Chartres. C'est devenu un ressort incroyable pour moi. J'ai vite déchanté en arrivant en école de commerce car les cours de comptabilité, ce n'était pas pour moi. Je me rappelle, en deuxième année, du cours nommé Droit des Sociétés. Dans ma tête, je pensais qu'on allait parler des sociétés Arapesh, via le travail d’anthropologues comme Margaret Meade (rires). La chute a été dure. C’était plutôt société anonyme et SARL. Catastrophe.
- Mais tu en attendais quoi de cette formation ? Tu voulais devenir une bonne vendeuse ?
Comme beaucoup de gens qui allaient en école de commerce ou en droit… Je pense dans le fond que c'était une façon de… repousser le moment de choisir. J'avais déjà très envie d'être journaliste mais je me l'interdisais en pensant que je n’aurais pas le niveau, rapport à mon gros complexe de culture générale. Mon Chartres c'est un peu comme quand Orelsan décrit son CAEN. Chez moi, on écoutait les Grosses Têtes à la radio, et on regardait les films en version française. Je n'avais aucune culture générale. Je ne pouvais pas placer Napoléon sur une frise à 100 ans près... Mais dans mon école, à chaque fois qu'il y avait un stage à faire, je demandais à l'effectuer dans une entreprise de presse.
- Tu aimes écrire et poser des questions ?
J'aime être exposée à de nouveaux mondes. Je ne suis pas du tout intéressée par l'actualité mais alors pas du tout, le breaking news, ce n’est pas pour moi. J'aime écrire sur nos modes de vies qui changent insidieusement, j’aime quand j’arrive à pointer du doigt les signaux faibles de l'époque. J'aime raconter la Vie comme les gens la vivent. Mais je ne suis pas du tout une journaliste qui tire les vers du nez ni qui aime passer en force. Je me rappelle une fois, j'étais dans le Sud des États-Unis, avec Daniel Mermet, peu après le début de la guerre en Irak. Nous étions invités à une veillée funéraire, chez des gens très pauvres dont le fils militaire avait été tué au combat. Daniel ne parlait pas vraiment anglais et me demande de poser une question à la mère du jeune soldat mort. Il me dit : “Demande-lui si ça ne lui fait pas mal de savoir que son fils est mort pour rien…” Mais moi, je ne peux pas poser ce genre de question ! Donc je pose une autre question mais Daniel comprend que je ne traduirai pas ce qu'il demande, il n’est pas content. Je me suis rendu compte pile à ce moment-là que je ne serai jamais une grande journaliste d'investigation comme Florence Aubenas (rires). Je n'aime pas déranger quelqu'un, je n'aime pas insister auprès de quelqu'un qui m’a dit non.
- Qu'est-ce que tu as fait de complètement fou dans ta vie ?
Fou, je ne sais pas mais en 1997, l'année de mes 30 ans je suis descendue seule, par la route, d'Alaska en Terre de Feu durant une année sabbatique. J'ai proposé à France Info et Radio France Internationale des chroniques sur les pays que je traversais.
- Oh wow. Je ne pourrais pas. Et tu n'as pas eu peur ?
Si, si (rires). Il faut savoir que dans les pays d'Amérique Centrale et dans les pays d'Amérique du Sud, à chaque fois que tu passes la frontière, il y a toujours un douanier bienveillant qui te met en garde sur le pays suivant. “Étrangère, fais attention à toi, le pays suivant, il est vraiment dangereux !” Bon, au début, je le croyais.
Quand tu quittes l’Équateur pour rentrer au Pérou, on te fait un signe avec le couteau qui passe sur la gorge 🔪 Couic Couic “Cuidado senorita, muy peligroso”. Très vite, j'ai compris que ce qui était réputé dangereux, c'était toujours ce qui était loin de toi. J'ai tout de même mis un peu de temps à voyager tel que j'avais envie de voyager. Au début, j'allais dans des endroits hyper sympas pour les voyageurs, mais j'ai vite réalisé que je traînais avec des voyageurs qui me ressemblaient trop. J'ai dû me faire un peu violence pour sortir de cette bulle très agréable. Je n'avais tout de même pas fait tous ces kilomètres pour aller dans une auberge de jeunesse super sympa, pour manger des granolas au petit-déjeuner, entourée de bobos en sandales Birkenstock. Un peu comme faire des études ça aide à ne pas se laisser impressionner par quelqu’un qui a fait des études, voyager, ça m’a aussi aidée à démystifier le voyage. On peut voyager et ne rien voir à part des gens qui nous ressemblent.
- Tu es courageuse ?
Je n'ai jamais pensé que cela demandait du courage. Je ne me sentais pas en danger. La seule interrogation était toujours financière: “Combien dois-je mettre de côté pour tenir trois mois de plus”, ce genre de choses.
- Quelle est la meilleure chose apprise sur toi-même sur toi-même dans ces 7 mois ?
J'ai compris à quel point je n’étais pas matérialiste. J'ai croisé des dizaines de personnes qui allaient de la Terre de Feu à l'Amérique du Nord ou l'inverse. En fait, c’est très courant comme voyage. Très souvent, ils me disaient, un peu émus, “oh là là quand je vais retourner chez moi et retrouver ma cafetière”… Ou d'autres qui me disaient qu’ils en avaient marre du arroz y frijoles et qu'il leur tardait de retrouver le petit croissant au bar du coin. Je me suis rendu compte que je pouvais vivre avec un sac à dos pendant 6 mois, et qu'à aucun moment, je ne me disais “ah si seulement j'avais plus de choses”. Ces envies me glissaient dessus. Cette indifférence au matériel et que j’ai toujours, je la vis comme une force parce que c’est une source de liberté.
- Quand tu te présentes aux gens, tu dis que tu fais quoi comme métier ? Sur Wikipedia il y a écrit “journaliste et chroniqueuse”.
Il y a pas mal de bêtises sur ma fiche Wikipedia. Elle a été créée par un lecteur qui n’était pas content d’un de mes articles dans le Monde. Par exemple, il précise bien que je suis née à Versailles. Ma mère y a seulement accouché. Je n’ai jamais vécu à Versailles. C’est un détail mis exprès pour qu’on se dise en le lisant que je suis une “Versaillaise”. Mais pour répondre à ta question, je me présente comme une journaliste, plus rarement comme un auteur.
- Tu es une femme optimiste ou une femme pessimiste ?
J'ai tendance à être du côté de l'inquiétude.
- Qu'est-ce qui te rassure ?
L’intentionnalité. Pour reprendre le titre de ta newsletter “Deuxième partie de vie”, je trouve que dans la deuxième partie de vie, on se sent obligé de rajouter une certaine dose d'intentionnalité. On se rend compte en regardant la première partie de vie qu’il y a plein de choses qu'on a fait par automatisme, parce qu'on a été “posé sur ces rails-là”. Si on veut décider de faire plutôt ci ou plutôt ça, il y a plein de micro-choix à faire. Ces micro-choix sont capitaux si on ne veut pas se laisser porter tout le temps et être juste le produit de là où on a été posé, du milieu duquel on vient, des gens qui nous entourent.
Et d'ailleurs c'est intéressant, c'est ce qui est arrivé pendant le confinement. Tout d'un coup, comme on ne faisait plus rien par automatisme, nous nous sommes mis à questionner beaucoup de choses. En deuxième partie de vie se pose donc de manière plus crue la notion d’intentionnalité. Pour ne pas l’oublier, cette notion, je fréquente régulièrement des personnes autour de moi qui ont des valeurs très fortes et auxquelles j'adhère énormément.
J'aime donc bien les voir juste pour me rappeler ce qui compte et ce qui était important. Eva Joly, par exemple. Ce que je trouve formidable chez elle, c'est que tout le discours qu’elle tient sur la solidarité, l'humanisme, la lutte contre la corruption, l'environnement n'est pas un discours de négation. Elle a également un côté joyeux, aimant la vie et j'aime le fait que ces deux aspects peuvent cohabiter en harmonie chez une personne. Lorsque nous prenons un café ensemble, je la vois bouger sa tasse trois fois pour toujours rester à la meilleure place, face aux rayons du soleil. C'est cette femme exigeante, perfectionniste du moment présent et qui ne va faire aucun compromis sur des projets de société auquel on tient tous. Pour moi, c'est très inspirant. Elle assume son intentionnalité.
- Tu penses à l’avenir de ta fille ? Tu l’éduques comment, d’ailleurs, comme toi tu l’as été, à la 68-tarde ?
Ah mais pas du tout ! En éducation, je suis beaucoup plus dans le fascisme constructif (rires) comme de la pousser à apprendre à jouer d’un instrument parce qu’adulte, on aimera jouer dans un orchestre, par exemple. Déjà parce que, moi, contrairement à mes parents, j'ai eu ma fille tardivement. Ce ne sont pas que des différences de personnes, ce sont aussi des différences d'environnement. Ceux qui ont eu des enfants jeunes dans les 30 glorieuses, c'était facile de se dire “On le laisse suivre son intuition et ce qu'il a envie de faire” puisque de toute façon les gens et la société étaient portés par une économie en plein boom. Grosso modo, quand on ne faisait rien, on avançait quand même. Tout était réellement possible. La période n'était pas la même (...)
En ce moment, dans les discours très en vogue, on entend beaucoup qu'il est important de s'ennuyer, parce que quand on s'ennuie, ça rendrait créatif. Ceux qui tiennent ce genre de discours sont souvent des gens qui sont nostalgiques de leur enfance et qui imaginent que, parce que les enfants s'ennuient, ils vont construire des cabanes dans la forêt (rires) Sauf que s'il n'y a pas de forêt autour de nous, qu’il n’y a pas de bois, les enfants, qu'est-ce qu'ils font ? Ils allument des écrans. Les discours sur les vertus de l'ennui m'exaspèrent.
- Quel livre a changé le cours de ta vie ?
L'existentialisme est un humanisme de Jean-Paul Sartre.
- Oh, dis, tu n'aurais pas un conseil de lecture plus “Tintin sur la Lune ?”, on est vendredi, là… (rires)
C’est un livre très intéressant, sous son titre plein de ismes. Grosso modo, de ce que j'en ai lu et compris, c’est l’idée que nous sommes rien de plus que nos vies. J'aime beaucoup cette manière de voir les choses, à une époque où on parle toujours du potentiel des gens, “des bonnes choses qui vont advenir ensuite”, principalement dans la deuxième partie de vie, d’ailleurs.
Beaucoup de gens vivent dans une illusion qu’ils sont en train de préparer leur vie future heureuse, en étant dans une course à l'argent ou à autre chose et qu'après, une fois le 1er million sur leur compte en banque, la vraie vie commencera. “À partir de 10 millions, je vais prendre ma retraite et je serai heureux”, je vivrai autrement. Mais non, c'est une illusion totale. C'est maintenant que ça se passe. Jean-Paul Sartre dit que ce n'est pas la peine de demander ce que aurait été la symphonie inachevée si elle avait été achevée puisqu'elle est inachevée. Ce livre m'a mis un coup de pied au cul, m’a poussée à aimer et à vivre le meilleur de chaque étape.
Et d’ailleurs, ça m’a aidée durant le premier confinement, car au lieu de subir, je me suis dit qu’il fallait inverser le truc. Au lieu de se dire comment faire pour arriver à vivre “ma vie normale” dans ces conditions, je me suis demandée comment faire maintenant ce que je ne pourrais jamais faire normalement, par manque de temps ou de motivation. Et du coup, j’ai enfin pu lire Les Misérables dans mon jardin. J’en garde un souvenir très fort…Franchement, Jean Valjean, merci d'exister (rires !)
Mon père souffre de Parkinson. Je pourrais mal le vivre. J'ai opté pour une autre approche : apprendre à vivre avec la maladie en rejoignant une association, où je peux apprendre et partager. Je ne dis pas que ça rend la situation plus joyeuse mais au moins je ne subis pas les choses. Et c'est d'ailleurs ce qui s'est passé pour le confinement, avec les Misérables : en changeant la manière dont on voit une situation, on en devient acteur et non plus victime. Ça donne l'impression un peu illusoire qu'on garde la main. Dans ces moments-là, on se sent alors beaucoup moins contraint.
Le dernier livre de Guillemette Faure : Consommation, le guide de l’anti-manipulation.
Ses derniers articles dans Le Monde.
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